La colline Ighir n’Mehalt.
Troisième fils de Mohammed III du Maroc, Moulay Slimane prend le pouvoir en 1792.
Après avoir vaincu les Aït Moghrad (14), il investit Tinghir en 1822 avec ses troupes et s’installe sur la colline Ighir n’Mehalt qui domine la cité et prend le contrôle du ksar de Tinghir. Ses premières décisions furent de lever l’impôt et de déporter à Mekhnès les hommes du ksar d’El Hart.
Ayant obtenu la reddition des Aït Moghad, pour assoir son pouvoir sur la palmeraie du Todra, il nommera Caïd un certain Beni Hia, originaire du moyen Atlas, qui s’installera au ksar El Khorbat à Tinjdad. Les Aït Moghad profitant de son appui, se lancèrent de nouveau à l’assaut des oasis, mais se heurtèrent dans le Todra à une violente résistance des Aït Atta à qui la population avait offert des terres en échange de leur protection.
Ils y construisirent une dizaine de ksour pour assurer une meilleure défense contre les Aït Morghad.
"Les guerres, fréquentes ailleurs, sont continuelles au Todra.’’
C’est dans un de ces ksour que Charles de Foucauld alors en visite au grand souk du lundi à Tinghir et, séjournant au quartier juif de Taourirt n’Imzilen, l’actuel Imzin, en 1884, fit cette description.
Et de continuer : <<… ainsi, point de précaution qu’on ne prend : chaque localité est resserrée dans un étroit mur d’enceinte, et de toutes parts se dressent des agueddims [tours de guet]. Durant le temps que j’ai passé à Taourirt, ce ksar était en guerre avec son voisin, Aït Ourjedal ; chaque jour on se tirait des coups de fusil ; les fenêtres, les lucarnes des maisons, étaient bouchées ; on n’osait monter sur les terrasses de crainte de servir de point de mire : les deux localités sont si proches que, malgré le peu de portée des armes, on s’atteignait de l’une à l’autre >>.
Cet exposé succinct montre à quel point les antagonismes et rivalités étaient forts entre tribus ou villages voisins et le pouvoir local incapable d’imposer la paix.
Pacification du Todra.
Les descendants du caïd Beni Hia ne versant plus tributs au royaume, le Sultan régnant, My Hassan premier du nom, lança une nouvelle expédition sur le Todra en 1892.
Après avoir vaincu les rebelles Aït Moghad basés au Ferkla, il nomma un nouveau gouverneur et séjourna lui aussi sur la colline Ighir n’Mehalt jusqu’à la totale pacification de la palmeraie et l’acquittement de l’impôt royal.

Le Glaoui de Telouet.
Une fois le Todra soumis, My Hassan 1er fit route sur Marrakech en faisant halte à Telouet dans le Haut Atlas.
Bien reçu par le caïd local El Madani El Glaoui (15), il lui accorda le titre de Calife des Glaoui, du Todra et du Tafilalet. Les glaoui forts de cette nomination tentèrent, mais sans succès, de s’imposer dans le Todra en 1900.
Les Glaoui étaient une puissante et importante tribu de la région du Haut Atlas dont le fief est Télouet près du col du Tichka.
En 1912 Thami, frère d’El Madani, nommé Pacha de Marrakech par dahir (16) du Sultan My Youssef, devient un collaborateur indispensable au protectorat français (17) qui veut pacifier le sud marocain et les populations berbères rebelles.
Expéditions militaires dans l’Atlas.
C’est à ce titre qu’en 1900 il effectuera en une première expédition au Todra et au Tafilalet, mais il échouera dans sa tentative de conquête.
En juillet 1918, nommé entre temps Pacha de Marrakech, Thami el Glaoui monte une deuxième expédition au Todra, il réussira à y vaincre les Aït Atta mais sans obtenir leur reddition.
A cette époque, au nord de Tinghir, le haut Atlas central était difficile d’accès ; les tribus qui y habitaient souvent rebelles et totalement mystérieuses pour des européens qui n’y pénètreront que vers la fin des années 1920.
Malgré l’appui du protectorat, il faudra une troisième tentative et le Pacha pourra, en janvier 1919 bâtir sa résidence que l’on appellera ensuite la Kasbah du Glaoui.
Elle trône toujours, en ruine maintenant, sur la colline d’Ighir n’Mehalt à Tinghir d’où elle avait pour but de contrôler une palmeraie, en théorie, soumise.

La résistance au protectorat dans la vallée du Todra.
Un mois plus tard, le général français De Lamothe défile à Tinghir, recevant le serment d’allégeances des chefs de villages Aït Toudgha au Sultan et au protectorat.
Mais une fois de plus, les Aït Atta déclinèrent l’invitation.
Rentrant en dissidence, avec l’aide des Aït Moghrad du Ferkla et des Aït Atta du Tafilalet, qui en avaient déjà chassé les occupants français et créé une petite province autonome, ils prirent Tinghir d’assaut et la pillèrent.
Malgré la présence dominatrice française, le calme ne revint pas.
Les turbulents Aït Moghrad sous le commandement d’un harratine de Taghbalt appelé Ba Ali, un Noir de la région de Tazzarine avaient réussi à contrôler tout le Ferkla. Celui-ci agissait comme représentant de Belkacem n’Gadi, seigneur du Tafilalet.
Installé à El Khorbat, dans la demeure de l’ancien caïd Beni Hia, Ba Ali pilla de nombreux ksour et villages du Todra avec l’appui de celui d’El Hart.
En juillet 1920, le Pacha Thami el Glaoui se décida à lancer une quatrième expédition dans le Todra.
Il essaiera de pacifier la palmeraie avec 8000 hommes et quelques pièces d’artillerie malgré la résistance continuelle des Aït Atta et de leur charismatique Amghar (17), Assou Ou Bassalam, originaire du ksar de Tahia Illamchane.
La Kasbah du Glaoui est prise d’assaut par les forces Aït Atta en 1927. Seul le ksar de Tinghir et quelques villages étaient restés fidèles au caïd de Tinghir, Saïd Ou Laïd Ou Tifnout nommé à ce titre en 1920 par le Pacha.
L’intervention française.
Bien établie depuis la création de son poste en 1928 à Ouarzazate, l’armée française intervient directement en 1931.
L’Amghar Assou Ou Bassalam est délogé de son ksar Tahia n’Illamchane et se réfugie dans le jbel Saghro.
Il finit par y capituler à la bataille de Bou Gafer en 1934, après trois jours de bombardements intensifs de l’artillerie et de l’aviation française basée à Ouarzazate.
Au bout de dix siècles d’incessantes luttes souvent fratricides, de guerres d’influence, d’invasions, la vallée du Todra est pacifiée.

Bureau des Affaires Indigènes.
Après la création du poste militaire français de Ouarzazate, des Bureaux des Affaires Indigènes seront ouverts.
Par un arrêté du 2 octobre 1931, le Bureau des Affaires Indigènes d’Imiter est, en outre, chargé de l’action politique à poursuivre sur les populations de l’oued Todra et ses affluents.
Puis en juin 1934, un cercle administratif Dadès-Todra est créé.
Un Bureau des Affaires Indigènes voit le jour à Tinghir. Il sera chargé d’un contrôle politique et administratif sur les tribus des vallées d’Imiter et du Todra.
Une caserne est bâtie sur Ighil n’Mehalt, non loin de la Kasbah du Glaoui agrandie, affirmant davantage la présence française.
L’on dénombrait alors à Tinghir ‘’intramuros’’ trois quartiers : Aït el Haj Ali, Iharhane et Aït Barra.
Vers l’après-guerre et l’indépendance.
En 1944, le Cheikh Bassou Ou Ali, originaire d’Aït Barra fit construire une grande et belle demeure qui deviendra plus tard la kasbah de l’hôtel Tombouctou.
À partir des années 1950 jusqu’à l‘aube de la guerre des six jours, la communauté juive de Tinghir s’exile en Israël, laissant derrière eux plusieurs magnifiques mellahs et leur savoir-faire artisanal.

Tinghir, capitale provinciale.
À partir des années 1970, presque un tiers de la population masculine émigre vers les mines du Nord de la France.
L’argent injecté par ces travailleurs et celui des employés de la mine voisine d’Imiter logés dans le nouveau quartier de Taouzekt, participe largement au développement économique, touristique et artisanal de la ville.
Faisant auparavant partie de la province de Ouarzazate, Tinghir avec tous ses nombreux atouts s’est vue promue par décret, capitale de province suite à un redécoupage administratif en 2009.
La ville commence alors à se transformer et depuis 2010, de vastes chantiers de rénovation et de réhabilitation du centre-ville et des quartiers environnants ont été entrepris.
Un pont neuf a été créé sur l’impétueux oued Todra, favorisant la circulation ver Er-Rachidia et surtout désenclavant les populations du Todra lors des crues de celui-ci.
Si, en 2016, tous ces chantiers ne sont pas encore achevés, notamment en centre-ville, celle-ci a néanmoins changé, donnant un aspect plus en adéquation à ses besoins.